Le webinaire, construire un nouveau paradigme autour des villes africaines, était l’occasion de révéler les grands gagnants du concours de photographie et de vidéo organisé par l'African Cities Lab.
Le 22 Fevrier 2024 le African Cities Lab a organisé un webinaire pour explorer un nouveau paradigme pour le développement urbain en Afrique. Avec 4 panelistes de haut niveau dont Nmadili Okwumabua, Issa Diabaté, Taman Mhoumadi et Mohamed Zoghlami les discussions ont permis de mettre en avant l'importance de l'intégration du secteur informel, la planification urbaine inclusive, le rôle de la jeunesse et la nécessité de repenser la gouvernance et l'éducation.
Sous la modération de Leandry Jieutsa, les panelistes ont discuté de la nécessité de construire un nouveau paradigme en repensant la gouvernance urbaine pour une proximité accrue entre les citoyens et les autorités, en restructurant les curriculums éducatifs pour répondre aux besoins réels du continent, et en exploitant le potentiel des industries culturelles créatives. Ils ont appelé à une approche inclusive et durable de la planification urbaine, mettant l'accent sur l'importance de reconnaître les savoirs locaux et de favoriser l'engagement communautaire.
Le webinaire était également l’occasion de présenter les lauréats du concours "Visions urbaines africaines", mettant en lumière le lien entre les MOOC suivis sur la plateforme de l'African City Lab et les créations des participants. Les lauréats ont été récompensés pour leurs contributions créatives à la compréhension et à la représentation des défis et des opportunités urbaines en Afrique.
Pourquoi un nouveau paradigme ?
L’informel fait partie intégrante des villes africaines
Taman Mhoumadi a ouvert la discussion en mettant en lumière l'importance du secteur informel en Afrique, notant que plus de 80% des emplois se trouvent dans ce secteur, qui s'est avéré durable au fil des ans. Elle a plaidé en faveur de l'intégration des méthodes du secteur informel pour garantir aux travailleurs l'accès à la protection sociale et à la sécurité financière. Elle est contre les efforts visant à éliminer ou à contrôler strictement le secteur informel, mettant en avant son rôle fondamental dans les villes et les économies africaines.
Au lieu de cela, elle propose d'investir dans le secteur et de le soutenir pour faciliter sa formalisation, permettant aux travailleurs d'accéder à des avantages tels que la protection sociale. Il est ainsi pour elle important de comprendre les dynamiques internes du secteur informel pour développer des stratégies efficaces de sa formalisation, reconnaissant les efforts continus déployés par des organisations telles que l'Organisation internationale du travail à cet égard.
Issa Diabaté partage cette perspective en soulignant l'importance de restructurer et d'intégrer l'économie informelle dans le cadre de l'urbanisme en Afrique. Il a souligné que cette approche n'est pas une question de faire sans, mais plutôt de fournir des aspects de protection sociale. Issa a également mis en lumière le défi de l'urbanisme hérité qui n'est pas toujours adapté aux environnements culturels africains. Il a discuté des différences entre l'urbanisme traditionnel et classique, en illustrant des exemples de villes africaines où l'urbanisme informel émerge et interagit avec les structures urbaines existantes.
Planifier les villes africaines pour tous
Nmadili Okwumabua a mis en avant l'imposition d'idéologies étrangères en matière d'urbanisme et la séparation résultante des classes socio-économiques, affectant le transport et la cohésion communautaire. Nmadili a plaidé en faveur d'une planification urbaine respectant la culture africaine, les traditions et la vie communautaire, en soulignant la nécessité d'une conception inclusive tenant compte des réalités de tous les résidents, et pas seulement des riches. Elle a partagé une anecdote personnelle sur le logement abordable pour souligner l'importance de comprendre les expériences vécues de tous les citoyens. En fin de compte, elle a appelé à un mélange de réalités africaines et de planification urbaine moderne pour créer des villes répondant aux besoins de chacun et favorisant l'équité sociale et la cohésion.
Une jeunesse africaine décomplexée et digitale
Pour Mohamed Zoglhami la jeunesse africaine a un rôle fondamental dans la fabrication de l'avenir urbain, soulignant leur décomplexité, leur digitalisation et leur rôle crucial en tant que force de proposition dans la réinvention des villes africaines. En tant que spécialiste des industries créatives numériques, Mohamed met en avant l'appropriation par cette jeunesse des technologies numériques et des imaginaires scientifiques pour projeter des visions innovantes de la ville.
Il souligne également la solidarité et l'innovation dont ont fait preuve les jeunes pendant la pandémie de COVID-19, affirmant que leur créativité et leur agilité sont des atouts majeurs pour l'avenir de l'urbanisme en Afrique. Enfin, Mohamed évoque l'émergence d'incubateurs et d'initiatives publiques visant à soutenir l'innovation et la créativité des jeunes africains, soulignant le potentiel transformateur de ces industries créatives pour résoudre les problèmes urbains actuels.
Comment construire ce nouveau paradigme ?
Repenser la gouvernance urbaine en misant sur la proximité
Les environnements ruraux sont souvent caractérisés par une gouvernance de proximité, où les habitants ont un lien direct avec leurs dirigeants, favorisant un comportement responsable et une forte implication dans la vie communautaire.
En revanche, en milieu urbain, la gouvernance est souvent plus distante, ce qui peut entraîner un sentiment de déconnexion sociale et une dépendance accrue aux ressources financières. Issa met ainsi en avant la durabilité des modes de vie ruraux, où les habitants sont souvent autonomes dans leur subsistance et adoptent des pratiques respectueuses de l'environnement.
Face à l'urbanisation croissante et aux défis socio-économiques, Issa appelle à repenser l'urbanisme et la gouvernance urbaine en rétablissant des liens de proximité entre les citoyens et les autorités, afin de créer des environnements urbains durables et inclusifs.
Restructurer les curriculums pour répondre aux besoins réels du continent
Lors de son intervention, Nmadili évoque les conséquences de la colonisation sur l'éducation en Afrique, soulignant que malgré l'indépendance, les pays africains ne contrôlent pas totalement leurs ressources ni leur développement.
Elle met en lumière le décalage entre les curriculums enseignés et les besoins réels du continent, notamment en termes d'emploi. Elle plaide pour une réorientation de l'éducation afin de former des professionnels capables de répondre aux défis locaux.
Nmadili insiste sur la nécessité de reconnaître et de valoriser les savoirs locaux, ainsi que sur l'importance de la communauté dans la résolution des problèmes. Elle appelle à repenser les modèles économiques pour construire des solutions adaptées aux réalités africaines.
Exploiter le potentiel des industries culturelles créatives
Pour Mohamed il est crucial de maîtriser le récit des villes africaines dans un contexte de mondialisation culturelle. Il a abordé l'attractivité des villes et leur soft power, mettant en lumière le rôle des industries culturelles et créatives dans ce processus. Mohamed a partagé des initiatives concrètes, telles que la création du premier metaverse africain, pour changer la perception de l'Afrique à l'échelle mondiale.
Il a également présenté des projets innovants, comme les jumeaux numériques pour la modélisation urbaine, soulignant l'importance de l'engagement de la jeunesse africaine dans ces efforts.
Taman rajoute l'importance de catalyser l'ingéniosité et la créativité des acteurs de la fabrique urbaine en Afrique. Elle a mis en avant l'utilisation de différentes formes d'art et de culture pour réaffirmer la narration propre à l'Afrique, tout en explorant des technologies ancestrales efficaces souvent perçues à tort comme obsolètes. Elle a également abordé le potentiel des solutions climatiques pour créer des emplois, soulignant la nécessité de sensibiliser les citoyens, développer un esprit entrepreneurial et fournir des connaissances techniques et administratives pour soutenir le développement durable et la croissance économique en Afrique.
Issa a clôturé la discussion en soulignat l'importance de considérer la construction urbaine de manière globale, en mettant l'accent sur l'innovation et la transformation. Il a abordé la nécessité de repenser l'utilisation des matériaux locaux et de développer un lien industriel pour promouvoir des pratiques de construction durables. Issa a également plaidé en faveur d'une approche systémique plutôt que centrée sur les matériaux, mettant en avant l'importance de l'intégration des divers domaines de la vie urbaine, tels que la santé, l'alimentation et la construction.
Il a souligné l'importance du récit dans l'orientation des politiques urbaines et a proposé une réflexion sur la notion de développement basée sur des critères locaux plutôt que sur des indicateurs occidentaux tels que le PIB. Enfin, Issa a évoqué un projet visant à reconstruire la ville à partir de ses fondamentaux, plutôt que d'imposer des modèles exogènes, soulignant ainsi la nécessité de repenser la planification urbaine à la lumière des enseignements tirés de la pandémie de COVID-19.
Concours visions urbaines africaines
Durant la deuxième partie du webinaire, Virginie Torrens a présenté l' l'African City Lab, lancée par six universités partenaires. Cette initiative vise à promouvoir le développement urbain en Afrique à travers une plateforme de formation en ligne offrant des cours gratuits sur divers aspects du développement urbain. Ces cours, développés par des spécialistes, abordent huit thématiques principales liées au développement urbain en Afrique. Depuis son lancement en octobre 2022, la plateforme compte actuellement 15 MOOC disponibles, avec l'objectif d'en proposer une vingtaine d'ici avril.
En plus des cours en ligne, l'African City Lab organise diverses activités telles que des formations continues, des forums, des webinaires et des masterclasses. L'initiative vise également à créer une communauté d'apprenants et d'ambassadeurs, ainsi qu'à étendre son réseau de partenariats avec d'autres universités et institutions pour héberger davantage de contenu pertinent sur sa plateforme.
Le webinaire a également été l’occasion de présenter les lauréats du concours “visions urbaines africaines”, un concours de photographie et de vidéos urbaines. Il met en lumière le lien entre les MOOC suivis sur la plateforme et les créations des participants.
Catégorie photographie urbaine
Premier prix: Léo Brenet
Titre de l’œuvre: La dernière maille du filet
"La dernière maille du filet" met en scène l'une des principales problématiques des villes africaines : la gestion des déchets. A la confluence du fleuve Sénégal et du Gorgol à Kaédi en période de crue, les eaux drainent les déchets amoncelés pendant plusieurs mois sur les berges qui viennent remplir les filets des pêcheurs de la ville qui s'improvisent alors, malgré eux, comme le dernier maillon d'un service informel de ramassage des déchets urbains. Les réflexions autour de la mise en place d'un service de gestion des déchets formel à Kaédi se sont multipliées ces dernières années sans jamais atteindre les résultats escomptés. Pourtant, une multitude d'acteurs informels oeuvrent chaque jour dans la ville pour l'enlèvement des déchets ménagers mais ne sont jamais intégrés aux projets communaux.
MOOC suivit: La fabrique urbaine collective : idées et outils pour co-produire les villes africaines
Deuxième prix: Babacar Diouf
Titre de l’œuvre: La station du BRT et ses voies réservées
Cette image est choisie parce qu'elle symbolise l'un des derniers projets phares du Gouvernement du Sénégal pour apporter un début de solution au problème de la mobilité urbaine de la capitale. C'est un projet de transport collectif structurant avec des bus 100% électriques qui desservent 14 communes avec 23 stations dont celle de Papa Gueye Fall que j'ai choisie pour ce concours d'images. Avec un gain de temps de 45mn entre la banlieue de Guédiawaye et le centre ville, ce système de transport ultra moderne peut faire voyager 300000 passagers/jour. Il s'agit donc d'un projet qui vient à son heure afin de hisser Dakar au même niveau que les grands centres urbains d'Afrique et de la sous-région.
MOOC suivit: Articulation urbanisme - Mobilité pour une ville soutenable
Catégorie Vidéo créative
Premier prix: Michaela Solnicka
Titre de l’œuvre: Tournettes
La vidéo choisie parce qu'elle constitue une approche originale d'un mobilier urbain alternatif, d'une chaise tournante, d'ombres mobiles, de structures permanentes ludiques pas nécessairement considérées comme des terrains de jeux, destinées à tous sans distinction d'âge ou de classe sociale. Cela fonctionne bien et il a été installé pour renforcer la confiance au sein de la communauté. Un endroit pour se rapprocher sans aucun but commercial.
MOOC La fabrique urbaine collective : idées et outils pour co-produire les villes africaines
Deuxième prix: Hardi Salifu
Titre de l’œuvre: The Tamale Urban Eye
L'Œil de Tamale dévoile le charme unique de la capitale depuis une perspective aérienne. Tamale, qui s'étend sur 922 kilomètres carrés, est l'une des plus grandes métropoles du Ghana et connaît une croissance rapide dans la ceinture de savane guinéenne. Avec une population de 374 744 habitants et un taux de croissance de 3,6 %, Tamale est un point focal pour les cours en ligne ouverts et massifs (MOOC) sur le développement urbain. Les institutions de recherche, telles que le Centre africain des villes et l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne, peuvent exploiter les caractéristiques de Tamale pour une analyse approfondie. L'intégration de mesures socio-économiques dans les MOOC, en particulier dans les domaines du développement urbain durable et des espaces urbains habitables, peut répondre efficacement aux défis urbains urgents à Tamale, au Ghana et en Afrique.
MOOC suivit: Introduction to new sanitation systems, economies and markets